
L'étoile des yeux d'Yessih
Krugs polissait délicatement sa flèche sur la dalle de grés.
Il revenait tous les ans, avant le long hiver, sur ce sommet.
L’abri y était profond et sûr et la montée abrupte du versant
sud, lui avait toujours offert de piéger le gibier nécessaire à
un complément de nourriture qu’il rapporterait plus bas dans
la plaine à son groupe et à Yessih.
Pour l’instant il polissait encore et encore sa flèche dans cette
forme d’étoile qu’il avait toujours vu là, sur la pierre rose.
Sans savoir pourquoi, ni même depuis quand, il lui semblait
qu’elle était là pour l’affutage de ses flèches et qu’elle était là
parce qu’elle avait la forme exacte des yeux d’Yessih, pour qu’il
la voie même quand il était très loin dans la nuit de la forêt.
L’étoile des yeux d’Yessih avait la même irisation ombrée ; elle
était devenue son phare, son repère, son réconfort et il l’avait
immédiatement reconnue, elle, bien sûr, puis son iris étoilé
dans la roche quand il étaient séparés.
Un jour, au crépuscule encore lumineux sur les dalles à l’ouest,
La chasse avait été très bonne, inespérée, et, alors que sa dernière
nuit solitaire tombait sur le sommet, jubilant , il tira vers les étoiles
son ultime flèche qu’il venait de polir.
A cet instant, à cet instant exactement, précisément dans la continuité
de son geste et dans un bruissement simultané de l’air, l’étoile
dans la roche fut illuminée comme souvent l’était le regard d’Yessih l’aimée,
et des milliers de toutes petites étoiles d’or tombèrent, légères et brillantes
du ciel bleu nuit. Profondément bleu et nuit.
La terre, le ciel, et l’amour des hommes peuvent cela.
L’une des étoiles d’or s’incrusta au sommet ouest du grand grés
dans le village du Windstein ; toutes les autres tombèrent dans une
petite vallée perdue au pied du mont : « la vallée de la faveur ».
C’est le seul endroit au monde où l’on peut trouver 6000 ans après,
la précieuse amulette de la femme aimée. Vraiment.
Et de nos jours encore, la petite étoile d’or de la faveur est portée
à travers le grand monde par les femmes qui savent,
dans l’intime conviction de leur cœur, qu’elles sont aimées .
PPHS